Une nuit torride !

Vendredi 23 janvier 1925:

 

Après avoir passé une partie de l’après-midi à tenter de comprendre les premières pages de l’ouvrage en français trouvé dans le coffre des Carlyle, les « Passages choisis du Livre d’Ivon », Arthus décide donc de retourner à NYC pour flâner du côté de Greenwich Village dans une galerie d’art ou un bistrot, avec le secret espoir d’y croiser Virginia Post. Il lui fallait de toute façon décompresser après le sanglant événement passé dans la boutique d’antiquités Ju-Ju. Néanmoins, le Frenchy reste très prudent dans ses déplacements, peut-être restait-il des sectateurs avides de vengeance et de sang.

 

De son côté, après s’être fait servir un whiskey par le majordome, Sommers préfère rester au manoir à attendre le retour de la maîtresse de maison. Vers 20h00, cette dernière finit par rentrer, accompagnée de son amie Miss Post. Invité à dîner en leur compagnie, Sommers fanfaronne tout en cherchant du regard la présence du bodyguard d’Erica. Mais si le malabar ne doit pas être loin, Sommers ne l’aperçoit pas aux alentours. Son hôte espère que les livres de son frère sont riches en informations, et que de Kerouac et lui ont trouvé ce qu’ils cherchent. « Mais au fait, Steeve, comment avez-vous eu accès au coffre ? J’avais totalement oublié de faire prévenir mes gens. » lui demande-t- elle d’un ton faussement ingénu. « Ouvrir le coffre ? Un jeu d’enfant quand on s’intéresse à l’imagination d’un écrivain tel que Poe… » lui répond le Texan dans un sourire, avant d’ajouter d’une voix plus sombre : « Ces livres se révèlent beaucoup plus intéressants que prévus … et fort inquiétants ! Cette Anastasia a dû jeter un sort à votre frère … » « Vous n’allez pas croire à la magie, Steeve, mon frère a probablement été drogué par cette femme. Mais vous avez raison, ces livres semblent importants, et je pense d’ailleurs les faire expertiser pour en connaître la valeur. »

 

Retenant un juron, car ces bouquins ne devaient absolument pas tomber entre de mauvaises mains, Sommers choisit d’orienter la conversation sur les arts les affaires. Le reste du repas reste sur un ton mondain, et Erica se montre intéressée par ses récits et la description de ses soirées parisiennes. Elle n’avait jamais été en France, même si cela la tentait, car sa position actuelle ne lui laissait que peu de temps pour le plaisir. Être une femme à sa position n’était pas chose aisée mais fort heureusement, elle était bien entourée. Le dîner se déroule de façon agréable, les discussions portent sur les sujets mondains en vogue à Paris et Steeve met tout en œuvre pour la séduire. Tant et si bien qu’après le café, Erica l’invite à passer au salon pour y discuter plus confortablement et lui demande de lui préparer une liqueur, pendant qu’elle accompagne son amie dans la bibliothèque. Miss Post décide de repartir pour NYC, laissant le champ libre à la traque animalière du Texan qui, alors qu’il remplit des coupes de champagne dans le salon, voit avec ravissement la belle héritière le rejoindre au bout d’une quinzaine de minutes… dans un très beau déshabillé ! « Steeve, videz votre verre, je suis sûre que vous avez mieux à me proposer que de me parler des soirées parisiennes, non ?!? »

Sommers s’approche d'elle d’un pas félin, en la fixant dans les yeux avec un regard ardent et un sourire charmeur. Il lui tend une coupe, porte un toast et finit son verre d’une traite et, tout en empêchant le verre de la jeune femme de se renverser, il la colle à lui en l’embrassant fougueusement …

Très vite, Erica prend les choses en mains pour avoir le contrôle de la situation. Lorsque Sommers tente de prendre l’ascendant, elle se raidit et alors qu’il la brusque un peu pour montrer qu’il préfère dominer, elle va jusqu’à le gifler pour le ramener dans le bon chemin ! Après de longs ébats, son corps n’est plus qu’un champ de bataille lacéré par les ongles de son amante, dont les mœurs sont pour le moins spectaculaires … Mais sitôt après avoir repris ses esprits, Erica se lève et, une fois remis son déshabillé et un peignoir, elle sort de la chambre en lâchant : « Je vous remercie Steeve pour cette nuit. Je vous prie maintenant de partir, une voiture vous ramènera à votre hôtel. Aussi, ne pensez pas à recommencer tout cela demain, les bonnes choses ont tendance à s’affadir sur la répétition … »

Sommers se rhabille et, tandis qu’il quitte la maison sans demander son reste, il l’aperçoit par une porte entrouverte de la bibliothèque, assise dans un fauteuil avec un verre de champagne à la main.

 

« Être adulte, c’est être seul. Mais la solitude est un jardin, Erica, où l’âme se dessèche, et les fleurs qui y poussent n’ont pas de parfum ... » la salue-t-il en s’inclinant. « Vous êtes décidément une femme ... surprenante, très chère ! » ajoute-t-il dans un sourire. « Néanmoins, au vu de ce que j’ai pu lire cet après- midi, nous devons discuter sérieusement de la suite. Passez une agréable nuit. Le bonheur est une sorte d’archipel composé d’instants heureux. Entre ces îlots, il y a de l’errance et de la solitude, mais il y a toujours mille soleils à l’envers des nuages ».

 

Dehors, une voiture l’attendait pour le ramener au Gotham Hôtel. La nuit était blafarde, la neige recommençait à tomber, et les fêtards rentrant chez eux avaient l’aspect de conspirateurs sachant qu’il fut, le temps d’une nuit, le jouet d’on ne sait quelle espèce de succube. Sur la route, la neige redouble d’intensité et efface les souvenirs de cette nuit torride, et il ne reste bientôt plus que le parfum trop cher d'Erica …

Professeur Cowles
Professeur Cowles

Samedi 24 janvier 1925:

 

Le lendemain matin, Sommers frappe à la porte de la chambre d’Alastar pour aller voir le Professeur Cowles. Mais personne ne répond. Qu’est-il encore passé par la tête de cet énergumène pour qu’il lui fasse ainsi faux bond ?

Du coup, c’est seul que le Texan se rend au Savoy Plaza, où le professeur le reçoit dans le Grand Salon. Il est accompagné de sa fille Ewa, avec qui Alastar a parlé au téléphone. Âgée de 20 ans, celle-ci est une charmante jeune fille intelligente et cultivée, que son père semble beaucoup protéger, et sa beauté n'a pas à souffrir de celle d’Erica. Il n’en faut pas plus à Sommers pour avoir les yeux qui pétillent mais, professionnel, il cherche à savoir s’ils n’auraient pas des choses nouvelles à lui apprendre concernant la ‘’Chauve-souris des Sables‘’ et l’étrange bol découvert dans le sous-sol de chez Ju-Ju. 

Miss Ewa Cowles
Miss Ewa Cowles

Le professeur est un homme agréable et sympathique, mais malheureusement, ils ont bien peu de temps à lui consacrer. Leurs deux journées à NYC sont extrêmement chargées, car ils cherchent à lever des fonds pour leurs prochaines recherches en Australie.

 

Cowles peut difficilement lui expliquer davantage que ce qui ressortait de sa conférence, décrite dans l’article trouvé par Alastar, et les runes gravées sur le bol lui sont totalement inconnues. Cependant, il remet volontiers à Sommers les diapositives projetées lors de sa conférence. Il s’agit de quelques clichés pris par un certain Arthur MacWihrr dans les environs de l’Ayers Rock et représentant d’étranges monolithes de pierre dans le désert australien.

Avant de prendre congé, le Professeur lui propose néanmoins son aide et l’invite à le contacter à Arkham s’il a besoin d’informations. Il lui apprend aussi qu’il sera de retour en Australie, dans sa propriété de Sydney, de fin juillet à fin septembre. Sommers les quitte en tentant d’approcher Ewa, mais son père très protecteur s’interpose systématiquement.

Steeve se rend ensuite au Bureau des Affaires Médicales de New York pour y consulter les archives. Après avoir joué de son charme auprès de la secrétaire, il accède aux fichiers du Dr Huston en passe de passer "secret médical" et d’incorporer des archives inaccessibles. Il trouve aisément le dossier médical de Roger Carlyle :

 

DOSSIER Carlyle, Roger Vane Worthington

 

Premier rendez-vous : le 11 Janvier 1918 Référence : Erica Carlyle Plus proche parente : Erica Carlyle

 

C’est à la demande de sa sœur que Mr. Roger Carlyle est venu me voir ce matin. Il minimise l’importance de son état de santé mais avoue qu’il éprouve quelques difficultés à dormir en ce moment, à cause de la récurrence d’un rêve dans lequel une voix lointaine l’appelle (A noter : Cette voix l’appelle par son deuxième nom : Vane, nom sous lequel M. Carlyle avoue qu'il pense à lui-même). Carlyle marche vers cette voix et doit lutter à travers un brouillard filamenteux qui masque celui qui l’appelle. Celui-ci est un homme grand, maigre et sombre. Sur son front brûle une Ankh inversée. En continuant sur ce thème égyptien (C. affirme ne jamais s’être intéressé à l'Egypte), l’homme lève les mains vers C., les paumes en l’air, et Carlyle voit son propre visage dessiné sur la paume gauche et l’image d'une pyramide asymétrique dans la paume droite. L’homme réunit ses deux mains et C. a l'impression de flotter dans l’espace. Il s’arrête devant des formes monstrueuses, des formes mi-humaines, mi-animales, munies de griffes et de serres, des masses informes. Toutes entourent une boule pulsante d’énergie jaune et C. comprend qu’il s’agit d’un autre des aspects de l’homme qui l’appelle. La boule l’attire vers elle, C. se fond en elle et voit à travers des yeux qui ne sont pas les siens. Un immense triangle apparaît dans le néant, il est asymétrique comme dans la vision de la pyramide. C. entend alors l’homme lui dire : « Et avec moi devenir un Dieu… ». Des milliers de formes et de silhouettes se précipitent alors vers le triangle, et C. se réveille. C. ne considère pas ce rêve comme un cauchemar bien qu’il perturbe son sommeil. Il affirme y prendre grand plaisir et que cet appel est authentique, mais il me semble qu’il cache par cette affirmation ses doutes par rapports aux causes réelles de ce rêve. Toute sa vie semble être caractérisée par cette inaptitude à choisir et à affronter la réalité …

Le 18 septembre 1918 Il l’appelle M’Weru, Anastasia et ma Prêtresse. Elle l’obsède ; cette dévotion est peut être une manière d’apaiser la tension des contradictions mégalomaniaques. Elle est certainement à considérer comme une rivale pour mon autorité.

Le 3 Décembre 1918 Si je n’y vais pas, C. craint le scandale. Si j’y vais, toutes les tentatives d’analyses seront certainement perdues. Quel sera alors mon rôle ?

 

L’après-midi, Sommers se rend de nouveau chez Erica Carlyle. Mais cette dernière reste totalement inaccessible, elle se montre absolument désintéressée par ses avances et l’évocation du don des livres ne semble pas lui convenir ; elle pense même à les vendre s’ils ont la moindre valeur et déclare son conseiller déjà sur le coup. Cependant, elle lui propose de financer leurs recherches, à ses amis et lui, et compte lui faire virer la somme de US$ 5,000.00 sur le compte qu’il désignera.

Lundi 26 janvier 1925:

 

Après une journée de repos, pendant laquelle Arthus et Sommers en profitent pour rendre visite à Marvin, lequel doit sortir de l’hôpital mardi, tous deux retournent chez Carlyle pour continuer leurs lectures. Le Frenchy compulse l’  écrit dans sa langue natale, essayant d’isoler les différents thèmes abordés pour les étudier plus tard, cherchant à distinguer les descriptions sanglantes dégueulasses des descriptions de rituels par exemple. Mais il comprend très vite que l’absence totale de structure rendra l’étude du « Livre d’Ivon » très complexe.

Entre deux prises de notes, il aperçoit du coin de l’œil son ami Sommers qui semble voir rouge. Ce dernier est en effet en grande discussion avec l’avoué d’Erica qui, devant les tergiversations de cette dernière, a décidé de prendre les choses en mains. Il propose d’établir un contrat : les 5,000 dollars et le prêt des bouquins le temps de l'enquête en contrepartie de leur absolue discrétion sur leurs découvertes dont il sera le seul averti. « C’est à prendre ou à laisser Mr Sommers. Nous ne vous connaissons pas et avons besoin de garanties. Comprenez que nous ne pourrons accepter que quoi que ce soit filtre dans les journaux concernant la possible survie de Roger. Me suis-je bien fait comprendre ? Qu’il transpire quoi que ce soit dans la presse le concernant, et une blindée d’avocats saura vous accueillir à votre retour aux USA. » ajoute Bradley Grey à l’attention de Sommers qui fulmine, échafaudant en un instant les plans les plus délirants pour s’emparer des livres. Il avait promis sur la tombe de son ami Elias et à feu Jonah Kensington de rendre public ce qu’ils découvriraient, et il n’avait nullement l’intention d’être censuré par des riches pleins aux as.

Arthus préfère intervenir pour désamorcer ce qui est sur le point d’exploser. Joe Corey, le garde du corps d’Erica, s’approchait déjà, et il pouvait deviner un grand nombre d’hommes armés et de chiens présent dans les jardins. Prenant Sommers à part, il lui murmure tout bas son avis : « 5000 dollars, c’est crétin de cracher dessus, et il peut arriver plein de choses aux ouvrages, ils peuvent cramer par exemple. Garder le silence, qu’est ce que l’on en a à foutre ? L’éditeur est mort, et on peut toujours remplacer le nom de Carlyle par un autre et situer l’action ailleurs qu’à NY ! » La sagesse finit par l’emporter sur la fougue du Texan et il consent à signer le contrat proposé. Bradley Grey leur propose alors de se voir à son bureau de New York le mercredi, les documents en bonne et due forme seront prêts.

L’affaire conclue, les deux compères retournent dans la bibliothèque. Alors que Sommers commence la lecture du « Peuple du Monolithe », dont il estime le temps d’étude à une huitaine de jours, Arthus s’arrache les cheveux sur le « Livre d’Ivon » qui le laisse perplexe.

Confronté à l’âge du texte, des images fulgurantes de civilisations depuis longtemps oubliées et d’époques révolues défilent devant ses yeux comme des hallucinations. Il se sent arraché à son époque et projeté vers un âge incroyablement lointain. Cette impression disparaît aussi brusquement qu’elle a commencé, et le Frenchy se sent irrésistiblement rappelé vers le présent. Le plongeon dans ce vortex le laisse instable et au bord du nervous breakdown, persuadé qu’une éternité s’est déroulée depuis qu’il a ouvert le livre. Cette hallucination n’a pourtant duré qu’un instant.

 

« Car Ubbo Sathla est la  la source et la fin. Avant la venue de Zhothaqquah ou de Yok Zothoth ou de Kthulhut des étoiles,  Ubbo Sathla demeurait dans les marécages écumants de la terre nouvelle née »

 

Quels mystères doivent se cacher dans cet ouvrage, daté du XIIIème siècle et écrit par Gaspard du Nord, étudiant de magie noire et d’alchimie ? Qui plus est, ce livre serait la traduction d’un ouvrage grec et n’en serait qu’un exemplaire incomplet, regroupant seulement certains passages pourtant déjà si complexes … Arthus hésite à tenter d’en percer les secrets les plus profonds.

De retour à leur hôtel en début de soirée, ils ont aussi la surprise de ne pas trouver Alastar dans sa chambre. Où donc pouvait bien se trouver ce fou d’Irlandais dont ils étaient toujours sans nouvelle ? En tout cas, O’Donnell devait sortir le lendemain du Bellevue Hospital Center, et ils allaient devoir s’occuper d’obtenir leurs visas en courant les ambassades pour embarquer à bord des prochains paquebots en partance pour l’Angleterre : le RMS Cedric pour Liverpool (US$ 160.00) quittant New York le 19 février, ou le RMS Majestic pour Southhampton (US$ 250.00) qui partait le 14 février.